ALPS : la Suisse dans la cour des grands ?
- Michel Louis
- 30 oct.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 oct.

Le superordinateur ALPS, inauguré en septembre 2024 au Centre suisse de calcul scientifique (CSCS) à Lugano, marque une avancée stratégique majeure pour la Suisse dans le très exigeant domaine du calcul haute performance.
Conçu pour répondre aux besoins croissants de la recherche scientifique, notamment en intelligence artificielle, en climatologie et en physique computationnelle, ALPS s’impose comme l’un des systèmes les plus puissants et les plus polyvalents au monde, grâce à une architecture hybride très particulière.
Historique
Depuis plus d’une décennie, la Suisse s’est dotée d’infrastructures de calcul de pointe, à commencer par Piz Daint (un Cray XC50) nommé ainsi d’après un sommet du massif de l'Ortles dans les Alpes rhétiques, et qui fut mis en service en 2013.
Ce dernier a longtemps figuré parmi les superordinateurs les plus performants d’Europe, servant à des projets de recherche en météorologie, en physique des particules et en ingénierie, pour ne citer que ces catégories.
Pourtant, face à l’augmentation générale des besoins en puissance de calcul, notamment pour l’entraînement des très gourmands modèles d’intelligence artificielle (LLM), et la simulation climatique à haute résolution, une nouvelle génération de supercalculateur devint nécessaire.
C’est dans ce contexte que le CSCS, en collaboration avec l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), a lancé le projet ALPS.
Doté d’un budget d’environ 100 millions de francs suisses pour sa mise en œuvre, et d’une enveloppe annuelle de 37 millions pour son exploitation, ALPS vise à replacer la Suisse dans le peloton de tête du calcul scientifique mondial…
Objectif atteint, car en juin 2024, achevé à 60 % au moment de sa mise en service, il pointait déjà au 6 rang mondial du très disputé TOP 500 !
À terme, sa puissance pourrait même approcher 1 Exaflops, ce qui équivaut à 1 milliard d’opérations mathématiques par seconde…
ALPS, l'architecture
ALPS repose sur une architecture évolutive, modulaire, hybride et hétérogène, conçue pour maximiser la performance sur des charges de travail variées, allant du calcul intensif classique à l’apprentissage profond, essentiel dans l’intelligence artificielle.
Conçu par la firme américaine HPE Cray, qui livre des supercalculateurs à la Suisse depuis un demi-siècle, l’architecture est hybride, un peu comme celle des derniers processeurs Intel, et repose sur des nœuds de cœurs spécialisés composés de composants fournis pour différentes firmes, notamment Nvidia et AMD.
Un peu de techno ? (Pour les amateurs seulement !)
À son lancement, ALPS met en œuvre 2.688 nœuds, des Nvidia Grace Hopper Superchips.
Chaque nœud intègre un CPU ARM Grace 72 cœurs épaulés par 128 Go de RAM LPDDR5, et un GPU NVIDIA H100 avec 96 Go de mémoire HBM3, la plus rapide du moment.
Les nœuds CPU haute densité (1 024) sont constitués de CPU AMD EPYC 7742 (Rome)2 sockets par nœud, 64 cœurs par CPU, jusqu’à 512 Go de RAM DDR4.
Les nœuds hybrides CPU+GPU (144) AMD EPYC + NVIDIA A100, chaque nœud combine un CPU AMD EPYC 64 cœurs avec 4 GPU NVIDIA A100 (80–96 Go HBM2e).
S’y ajoutent des nœuds expérimentaux et spécialisés (environ 200 ) AMD MI300A, une architecture unifiée CPU+GPU pour tests avancés et autres calculs scientifiques ciblés.
Infrastructure réseau et stockage
L’interconnexion est assurée par les bus HPE Cray Slingshot-11 (concurrent du bus Infinity) avec une bande passante de 200 Gb/s par module, assurant une faible latence et une scalabilité optimale.
Le stockage temporaire (scratch) est de 100 pétaoctets (!) sur disques durs (ClusterStor) et 6 pétaoctets sur des SSD ultrarapides qui font office de cache. Débit agrégé de transfert : jusqu’à 1 téraoctet par seconde !
Enfin, l’archivage froid est assuré par des bandes magnétiques : deux bibliothèques de 130 pétaoctets chacune.
Particularités logicielles
Pour plus de sécurité et de souplesse, ALPS permet la création de clusters virtuels (vClusters) isolés et configurables selon les besoins des utilisateurs.
L’architecture est conçue pour une orchestration cloud-native, mais sur trois niveaux de priorité différents, facilitant la gestion dynamique des ressources et la sécurisation des données.
Refroidissement et écologie
Côté développement durable, le système tire ingénieusement parti du lac de Lugano, tout proche, et utilise son eau pour refroidir les puces ; l'énergie récupérée permet de chauffer à distance un quartier de la ville, à l’instar d’autres centres de données modernes, notamment celui d’Infomaniak à Genève.
Pour qui et comment ?
ALPS est réservé aux projets de recherche publics ou académiques : plus d’un millier de chercheurs sont déjà inscrits pour exploiter ses ressources, contre 1 800 pour Piz Daint, le prédécesseur démantelé en 2025.
L’accès est donc strictement encadré et plus restrictif qu’auparavant : seules les institutions suisses ou les collaborations universitaires peuvent soumettre des projets.
Les entreprises privées peuvent quand même y accéder, mais seulement dans un cadre académique, et moyennant des frais.
Parmi les premières applications concrètes, MétéoSuisse utilise ALPS via le modèle ICON en exploitant une granularité de données inédite, pour augmenter encore la pertinence des prévisions météorologiques, notamment à long terme.
D’autres projets en médecine personnalisée, en astrophysique et en intelligence artificielle, sans oublier la modélisation environnementale, sont en cours de déploiement.
Vision stratégique
Lors de l’inauguration officielle, le conseiller fédéral Guy Parmelin a souligné qu' « ALPS est l’expression de notre vision d’un futur marqué par la connaissance et le progrès... »
De plus, le CSCS insiste sur le fait que le classement mondial n’est pas une finalité en soi : l’objectif est de résoudre efficacement les problèmes scientifiques les plus complexes, en mettant à disposition une infrastructure indigène robuste, durable et évolutive.
Conclusion
Avec ALPS, la Suisse affirme sa souveraineté numérique (au moins en puissance de calcul) et sa capacité à soutenir une recherche scientifique de pointe.
Ce superordinateur incarne une vision stratégique ambitieuse, à la croisée des technologies, de la science et de l’intérêt public, avec une préférence nationale claire.
Enfin, il ne s’agit pas seulement d’un outil de calcul puissant, mais d’un levier de transformation et de souveraineté pour la prochaine décennie, notamment avec la Swiss AI Initiative (un autre projet souverain que nous aborderons prochainement) qui réserve une part conséquente du temps de calcul du supercalculateur helvétique.
Notons qu’avec un supercalculateur comme ALPS, un projet de Cloud souverain helvétique en cours, et un réveil productif sur l’intelligence artificielle, notre pays prend enfin conscience des enjeux du moment et, comme le dit l’adage : mieux vaut tard que jamais !




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