Gaia-X : le cloud européen
- Michel Louis
- 25 août
- 4 min de lecture

Introduction
Bien que le nom ne soit pas très original (et déjà utilisé pour un satellite européen en activité) Gaia-X est une initiative salutaire, lancée pour répondre à la dépendance de l’Europe vis-à-vis des grands fournisseurs cloud, tous américains (Amazon Web Services, Microsoft Azure, Google Cloud ou encore CloudFlare) autant d’entreprises assujetties aux lois américaines, exterritorialité comprise…
Dès lors, l’objectif est de bâtir une infrastructure de données indépendante, interopérable, sécurisée et conforme aux normes européennes, garantissant la maîtrise des flux et le respect des règlements sur la vie privée, en résumé, un cloud européen !
Origines et principes fondateurs
L’idée d’un « écosystème de données européen » sous juridiction européenne, a émergé en février 2019 lors d’un sommet numérique à Berlin, face à la montée du Cloud Act américain et aux inquiétudes (plus que justifiées) sur le contrôle réel des données des citoyens européens.
En octobre 2019, une feuille de route conjointe France-Allemagne a fixé les grandes lignes : interopérabilité, indépendance, portabilité et respect du RGPD comme credo.
Le 4 juin 2020, les ministres Bruno Le Maire et Peter Altmaier officialisent la création de Gaia-X, avec l’ambition de conserver une souveraineté européenne sur les données tout en évitant un isolement technologique de type silo...
Et pour gagner du temps, plutôt que de créer de toutes pièces un nouvel hébergeur unique, il est décidé de réunir, et de labelliser, des acteurs fiables déjà existants autour des principes fondateurs suivants :
• Souveraineté numérique : chaque service affilié respectera la juridiction et le cadre réglementaire européen, même s'il se trouve en dehors de l'Union européenne.
• Interopérabilité et portabilité : découplage entre le traitement des données et leur hébergement, pour éviter d’être captif du fournisseur de services.
• Standards ouverts et architecture décentralisée : système modulaire de nœuds interconnectés (data hub) sans concentrer le pouvoir chez un seul acteur.
• Transparence et réversibilité : traçabilité des usages de données et possibilité de migration simple entre fournisseurs.
Qui gouverne Gaia-X
Gaia-X est structuré par une association internationale sans but lucratif (AISBL) basée en Belgique, dont l’assemblée générale est composée de tous ses membres, entreprises comme États.
Au démarrage, une vingtaine de grandes entreprises françaises et allemandes — dont Deutsche Telekom, Safran, Orange, Atos, Bosch, Siemens, T-System, OVHcloud et BMW — signent les statuts fondateurs.
Le projet fédère aujourd’hui plus de 300 organisations, mélangeant entreprises, acteurs publics et laboratoires de recherche, notamment.
Les géants américains (Microsoft, Amazon, Google, IBM) sont invités à participer à condition d’adhérer aux principes de souveraineté et de transparence, favorisant ainsi un modèle ouvert plutôt qu’exclusif, ce qui nous change des pratiques américaines.
Déploiement et réalisations
Les premières expérimentations ont débuté fin 2021 avec le développement de prototypes et de
« data space » sectoriels, comme la santé, l’enseignement, l’énergie et les transports, selon des schémas validés par les acteurs européens concernés.
En 2025, Gaia-X franchit une nouvelle étape avec plus de 180 espaces de données opérationnels, dont l’un en Suisse, à Zurich, fruit d’une expansion rapide des collectifs sectoriels.
À Munich, lors du salon Automatica 2025, un rendez-vous mondial sur l’IA et la robotique, le projet est mis en avant comme pilier du cloud industriel européen, associé à des usages avancés et automatisés, tels que la maintenance prédictive ou la simulation collaborative dans un « métavers industriel », si tant est que cette appellation conserve un sens dans ce cas précis.
Enjeux et perspectives
Bien qu’il ne soit pas conçu pour concurrencer directement les géants américains du Cloud, Gaia-X se positionne quand même face à leur hégémonie en offrant une alternative crédible pour les entreprises européennes, particulièrement les PME.
Pour cela, dix milliards d’Euros sont prévus sur 7 ans, et 22 pays européens y participent, Suisse et Norvège comprises.
Cependant, et c’est un boulet typiquement européen, si autant d’acteurs peuvent garantir l’équilibre et les finances, la gouvernance à plusieurs peut aussi ralentir les décisions et introduire une complexité de pilotage, car les intérêts de chacun sont parfois difficiles à concilier et rendent le projet plus fragile.
Enfin, sur le plan technologique, le défi est d’assurer une interopérabilité réelle entre des architectures souvent très hétérogènes, mais aussi de s’assurer une vraie indépendance technique, car une majorité des infrastructures informatiques repose sur de la technologie américaine ou chinoise… un problème récurrent qu’il convient de circonscrire de manière logicielle et réglementaire, tant que faire se peut.
Conclusion
À l’instar de Galileo, qui émancipa l'Europe de la dépendance au GPS américain, Gaia-X incarne une réponse stratégique à la dépendance numérique de l’Europe, et vise à poser les bases d’un cloud souverain, sécurisé et ouvert.
Pourtant, son succès dépendra de la capacité des acteurs à coopérer, à adopter les standards établis et à accélérer les déploiements concrets, car, si Galileo est une réussite, sa concrétisation prit au bas mot 30 ans, une débauche temporelle que l’Union européenne ne peut plus se permettre à l'ère du tout numérique…
Car, en s’imposant rapidement dans la stratégie européenne pour la donnée et l’IA, Gaia-X pourrait devenir un catalyseur d’innovation pour les nouvelles technologies, tout en renforçant durablement la souveraineté numérique du Vieux Continent, donc sa souveraineté tout court !




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